Adieu l'artiste !

Il ne viendrait à personne l’idée qu’on puisse exercer de tels métiers sans une formation théorique initiale de fort calibre. Cependant chacun de ces métiers est une pratique, succession de gestes et de paroles conçus par des individus, puis inscrits dans la réalité par ce qui est un acte : l’exercice d’un métier. Chirurgiens, pilotes et avocats « font ».

Ces métiers sont des arts qui consistent à transformer des théories en pratiques, et à enrichir des pratiques de théories.

Il ne viendrait à aucun anatomiste l’idée de dire au chirurgien comment opérer un malade ; à aucun aérodynamicien de dire au pilote comment poser son avion ; à aucun législateur de dire à l’avocat comment plaider une cause.

Fut un temps où les professeurs, experts en leurs disciplines, concevaient et délivraient des cours, exerçant ainsi leur art.

Vinrent les sciences de l’éducation, et les approches didactiques.

D’abord disciplinaires, elles visaient à mieux enseigner telle ou telle discipline : des regroupements de professeurs experts, de mathématiques où de physique travaillaient les savoirs qu’ils enseignaient et ouvraient des pistes de réflexions, souvent fort utiles, pour mieux y initier leurs élèves.

Vint la didactique générale, qui s’est chargée, elle, d’un savoir apprendre transversal, amas difforme de concepts mous, propice aux plus pédants et obscurs verbiages ; prétendante au pouvoir et parvenant à une hégémonie quasi totale au sein de la formation universitaire des professeurs français.

Désormais, le professeur doit apprendre aux élèves comment apprendre ; le quoi est secondaire, ne compte parfois plus guère : il est souvent accessoire, détrôné par un "comment" abstrait, mais grâce auquel l’élève accédera sans difficulté aux connaissances en libre service sur l’Internet.

Ce fut l’avènement et le règne des transdisciplinarités, chères aux inspections pédagogiques, et d’une certaine façon l’assassinat d’une culture. En tout cas, ce fut la destruction du primaire, du collège et du lycée avant qu’un jeune et éphémère ministre ouvre enfin les yeux, et braque les projecteurs sur la faillite du système scolaire français.

Désormais le chirurgien n’est plus orthopédique, viscéraliste, vasculaire, gynécologique ou plasticien reconstructeur, mais un "sachant opérer" qui vous ouvre et vous referme sur instructions disponibles sur chirurscol.fr.

Désormais le pilote est un "sachant piloter" à qui on confie tantôt un hélicoptère, tantôt un jet, tantôt un hydravion, indifféremment, grâce à des tutoriels disponibles sur piloter.org.

Désormais l’avocat est un "sachant plaider", qui va du droit pénal au droit civil en passant par le droit international, grâce à la base de données de jeplaide.com.

L'époque est formidable : vive le progrès !

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