Nouveaux programmes ?!

Publié le 17 juin 2024 à 18:58

Arrêtez de faire perdre leur temps aux PE !

Action & Démocratie était présent au ministère le 29 mai dernier pour la Commission spécialisée sur les (énièmes) nouveaux programmes maths/français cycles 1 et 2, programmes dont l’entrée en vigueur est prévue pour septembre 2024.

Donc qu’est-ce qu’on en pense ?

Photo de Nadine Shaabana sur Unsplash

On ne peut qu’approuver certaines critiques déjà émises par d’autres : les changements de programmes trop fréquents (oui, c’est épuisant et les PE ont besoin de leur énergie pour autre chose), la précipitation des réformes pour correspondre à un agenda politique etc.

Mais le principal problème de ces nouveaux programmes est qu’ils se basent sur un modèle d’élève imaginaire, ils sont déconnectés de la réalité d’une classe en 2024, ils nient l’hétérogénéité extrême qui caractérise aujourd’hui nos classes, hétérogénéité que le ministère a pourtant encouragé activement depuis 40 ans.

Soyons francs et clairs : si le ministère, à travers son « choc des savoirs », a décidé de tourner le dos à 40 ans de nivellement par le bas, de pédagogie différenciée jusqu’à l’absurde ou d’ « élève au centre des apprentissages » pour rêver à nouveau d’exigence, d’ambition, d’un retour aux apprentissages fondamentaux, BRAVO ! ON SUIT ! sauf que…


Sauf qu’il ne suffit pas de décréter la hausse du niveau pour qu’elle advienne. Il ne suffit pas de décider qu’on va « aller plus loin », qu’on va « en faire davantage », plus tôt, plus fort…  Sauf à considérer que les PE étaient jusqu’ici des feignasses, qu’ils ne fichaient rien ou qu’ils s’y prenaient mal et qu’il suffirait donc de leur imposer de « bonnes pratiques », de les fliquer, voire de les payer au mérite... ça ne marche pas comme ça !

Car ce n’est pas par les programmes qu’il fallait commencer.
Pour faire monter le niveau de nos élèves, il faudrait avant tout se demander pourquoi on ne parvient plus, à l’heure actuelle, à transmettre grand-chose dans nos classes… Ayons le courage de voir ce qui a brisé, années après années, la transmission du savoir : l’hétérogénéité extrême de nos classes, les carences éducatives criantes de nos élèves, la politique d’inclusion irraisonnée d’élèves qui relèvent d’établissements médico-éducatifs, le nombre souvent trop élevé d’enfants par classe, sans parler de l’épuisement mental des PE avec des charges chronophages dont ils devraient être dispensés : évaluations d’école, formations ineptes voire… les couches à changer (merci M.Blanquer qui a imposé aux écoles maternelles d’accueillir les enfants pas encore propres) !

Que nous disent les collègues de maternelle ? que depuis une dizaine d’années, ils voient arriver en Petite section des enfants « vierges de tout apprentissage », qui ne parlent pas, qui ne font rien de leurs mains, qui ne jouent pas, des enfants à qui leurs parents ne parlent jamais, des enfants gavés d’écrans depuis le berceau. Sauver ces enfants est un immense défi, défi que les collègues de maternelle tentent chaque jour de relever. Mais ils ne pourront pas atteindre les objectifs que vous voulez leur fixer, pas avec les enfants dont ils ont la charge. Ils ne pourront pas travailler le langage oral, comme vous le demandez, plusieurs fois par jour avec chacun de leurs élèves ; pas par mauvaise volonté mais parce que cela demande énormément de temps, une relative homogénéité dans la classe, des effectifs corrects, un cadre serein, et même -au risque d’écorcher les oreilles de certains- de l’ordre et de la discipline.

Conclusion : Que le ministère prenne d'abord les mesures qui s’imposent pour restaurer une dynamique de transmission des savoirs : faire confiance aux enseignants au lieu de les fliquer, réduire le nombre d’élèves par classe, remettre entièrement sur la table l’école dite « inclusive » en concertation avec les enseignants, rétablir l’autorité des enseignants et assurer que leur hiérarchie les protège, responsabiliser les familles sur l’éducation de leurs enfants…

Quand cela aura été fait, on pourra parler de nouveaux programmes.

« Là-haut, ils ne comprennent rien à l’école maternelle », une enseignante en classe maternelle témoigne.

Alors que les nouveaux programmes de cycle 1 sont déjà sur la table, une enseignante témoigne sans langue de bois de la crise qui frappe l’école maternelle et du gouffre qui sépare son quotidien des décisionnaires de la rue de Grenelle.

-Sophie*, vous êtes enseignante de maternelle depuis six ans je crois ?

 

-Je suis professeure des écoles depuis 20 ans, dont 6 ans en maternelle. Mon école actuelle est située dans un quartier très défavorisé d’une ville moyenne (de l’académie Orléans-Tours) mais sans le statut REP+ malheureusement. On a toutes les difficultés de "l’éducation prioritaire" sans les moyens qui devraient aller avec.

 

-Bonne nouvelle pour vous : le ministère de l’Education nationale vient de publier les nouveaux programmes de maternelle. On les dit plus ambitieux que les précédents.

 

-Vous pouvez me citer une seule « réforme » qui n’ait pas été qualifiée d’ « ambitieuse » ? 

 

-C’est vrai mais le gouvernement Attal a pris l’engagement de relever le niveau des élèves français, contrairement à tous ses prédécesseurs qui assuraient (contre toute évidence) que ledit niveau montait. 

 

-Oui, c’est la première fois qu’on les entend admettre ce qu’ici on a compris depuis des décennies, c’est un début. Mais ce n’est pas en changeant les programmes qu’on va le faire remonter, le niveau.

 

-Pourquoi ? Vous les avez lus ces nouveaux programmes ?

 

-Evidemment, avec deux de mes collègues. En maths, ça change assez peu. Par contre, ce qu’on va nous demander en français me paraît inatteignable (phonologie, connaissance du mot, maîtrise du geste graphique…), sauf avec une toute petite minorité d’élèves. L’idée -pas nouvelle- est de faire de la classe de Grande Section un pré-CP. Sur le papier c’est super mais nous en classe devons faire avec des élèves de plus en plus faibles lorsqu’ils nous arrivent : des enfants qui n’ont jamais été stimulés intellectuellement, qui ne parlent pratiquement pas, qui n’ont jamais manipulé quoi que ce soit avec leurs mains, bref qui -à l’âge de 3 ans- sont vierges de tout apprentissage. C’est un phénomène qui était encore rare il y a dix ans mais qui aujourd’hui concerne une part importante de nos classes. Alors quand les nouveaux programmes demandent qu’on envisage dès 3 ans le « tracé de la boucle », que nos élèves dès 4 ans « scandent les syllabes d’un mot », comprennent dès 5 ans «  qu’il existe une norme pour écrire (ponctuation, paragraphes…) », ou « mémorisent un texte par semaine »… franchement je suis sceptique. 

 

-Peut-être qu’il faudrait revoir l’organisation de la journée ? les faire travailler plus et jouer moins ? 

 

-Je sais que vous plaisantez parce que vous êtes du métier mais des gens croient encore qu’on passe nos journées à rien faire. Le jeu permet en l’occurrence d’introduire la plupart des notions étudiées, le jeu est indispensable en maternelle et les nouveaux programmes ne remettent évidemment pas cela en cause. D’autre part, les capacités de concentration d’un élève de maternelle ne sont pas celles d’un collégien. Alors oui on va continuer à jouer (rires).

-Les objectifs fixés par ces nouveaux programmes vous paraissent inatteignables ?

 

-Il ne suffit pas de nous demander l’impossible pour qu’on y arrive, l’ambition c’est bien mais il faut aussi être pragmatique. Depuis que j’enseigne, on demande aux enseignants de maternelle de mettre le paquet sur le langage en individualisant les apprentissages. Or ce n’est faisable qu’avec un effectif d’élèves raisonnable et dont les profils sont relativement homogènes. En revanche c’est totalement impossible avec 30 élèves et impossible avec plusieurs enfants à besoins particuliers (en général sans AESH) qui monopolisent toute notre attention. On n’est pas des super-héros.

 

-Et pourquoi le ministère vous demanderait l’impossible ?

 

-Le ministère croit peut-être que pour former des génies, il suffit de le décréter. Ou peut-être suppose-t-il qu’on a attendu 2024 et des consignes adéquates pour se mettre au boulot… (rires). Je crois malheureusement que là-haut ils ne comprennent rien à l’école maternelle.

 

-Alors, selon vous, comment relever le niveau des élèves de classe maternelle ?

 

-Il faudrait déjà poser les bons diagnostics, ce qu’on est en train de faire vous et moi depuis dix minutes : Nos élèves nous arrivent de plus en plus incultes, avec des niveaux extrêmement hétérogènes. Eux ont donc plus que jamais besoin de nous et nous avons plus que jamais besoin de temps, beaucoup de temps pour individualiser les séances de langage. Donc diminuer les effectifs en maternelle est la priorité n°1.
Ensuite, la journée n’est pas extensible et on ne veut pas rogner sur d’autres apprentissages fondamentaux en maternelle comme les arts ou la motricité ; par contre quand les programmes me demandent de « scander des mots en anglais », j’ai envie de répondre « On a mieux à faire » !
Enfin il faut qu’on nous simplifie un peu la tâche, arrêter de nous demander l’impossible. L’école inclusive c’est super généreux sur le papier mais c’est la plupart du temps ingérable, surtout quand il faut inclure des enfants porteurs de handicap mental, sans aide humaine ni moyen matériel. C’est de la maltraitance pour tous, y compris pour l’enfant en question. Évidemment ce ne sont pas les beaux-parleurs hypocrites qui gèrent les difficultés sur le terrain, ce ne sont pas les ministres qui accueillent « tous les enfants sans distinction ». Ça me rappelle notre ex-ministre Blanquer qui s’était fait un beau coup de pub en nous obligeant à accepter à l’école des enfants pas encore propres. Résultat : on a déresponsabilisé encore un peu plus certains parents et condamné les ATSEM à changer dix couches par jour, et ce n’est pas leur rôle ni le nôtre ! L’école se substitue déjà énormément aux familles, à un moment il faut poser les limites et rappeler aux familles leurs responsabilités éducatives.

-Sophie, merci pour ce témoignage et bon courage chère collègue!

-J’en aurai besoin (rires).

 

*le prénom a été modifié


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