La grève du jeudi 13 janvier a mobilisé beaucoup d’agents de l’Education nationale et a incontestablement frappé l'opinion publique. Les parents ont été touchés et se montrent plus sensibles au destin de l'Ecole au travers des effets, sur leurs enfants, des multiples protocoles sanitaires qui la perturbent. Au point que Jean-Michel Blanquer a annoncé, après la réunion organisée en soirée par le 1er ministre avec des syndicats, de nouvelles dispositions. Vers 22h ! Du jamais vu depuis le début de la crise sanitaire. Des masques... des embauches...
Cela va-t-il permettre le retour au calme ? Rien n’est moins certain, tellement l’impression est grande que l'arbre de la crise sanitaire masque la forêt des problèmes historiques et profonds de l'école. Ce 13 janvier au soir, comme un rideau est tombé sur le champ de ruines éducatif. Il y aurait plus important que les enjeux éducatifs : les enjeux sanitaires (la “mesure du CO2” dans les salles est à ce titre emblématique). Il y a urgence, incontestablement, mais le Ministère n’est-il pas en train de se tromper et de nous tromper d’urgence ?
Plutôt que de se focaliser sur le présent qui va très vite devenir du passé, imaginons-nous après la crise sanitaire, et remettons dès aujourd'hui les questions de fond sur le tapis. Quel est le détail des programmes des différents candidats à l’élection présidentielle en matière d'éducation, d'éducation nationale ? Certains sont-ils sur la bonne voie ? Quels sont ceux qui délirent et fantasment le terrain de l'école qu'ils idéalisent ou noircissent, suivant leurs couleurs politiques ?
Des questions d’autant plus importantes que, dès le 14 janvier, le président de la République a soudainement évoqué les études supérieures, le coût de l'échec de trop nombreux étudiants en première année et s’est interrogé sur la pertinence de la (quasi) gratuité des inscriptions à l'université. Pour diagnostiquer l'échec dans le supérieur, il ne s’est guère posé la question du niveau réel des élèves qui obtiennent le baccalauréat ! Pourtant, s'il y a autant d'échecs la première année, la cause principale n'est majoritairement pas une mauvaise orientation, ni l'afflux de jeunes qui ne savent pas quoi faire d'autre que tenter l'université.
La cause principale, c'est le médiocre niveau avec lequel ils ont “obtenu” le baccalauréat pour un pourcentage important d'entre eux. Les enseignants du Supérieur le savent bien : près d'un tiers des étudiants de l'université n'ont pas de bonnes bases, notamment en maîtrise de la langue, et, au-delà en maîtrise logico-argumentative alors que c’est fondamentalement
ce dont le bac devrait attester, quelles que soient les “options” et les "spécialités". La plupart des étudiants en science de l'Homme et en Lettres ne sont plus prêts, ni aptes à lire beaucoup, longtemps et en profondeur. S'ensuit un écrémage massif inévitable…
L'enseignement secondaire est devenu un ectoplasme, regroupant autant de jeunes fantômes qui errent entre contraintes de la crise sanitaire, diplômes du bac en chocolat (le grand non-dit) et perspectives d'études universitaires se réduisant comme peau de chagrin (la punition qui vient). Le spectacle, que certains voudraient occulter, est désastreux ! Surtout si l'on ajoute les incertitudes croissantes et anxiogènes sur l'avenir de la société, celui des démocraties, et une interrogation anthropologique de fond sur ce que peut encore être et signifier la civilisation...
Un beau défi politique en perspective que de mettre fin à cette situation ! Qu'aucun candidat à la présidentielle, ni aucun ministre de l'éducation à venir ne relèvera en usant de mesures-sparadrap ou en tenant des discours de vieille lanterne comme ceux sur le "progrès" ou sur la nécessaire “innovation”. A l'ère de l'effondrement d'une éducation vitale et chargée de sens, “progresser” et “innover” suivant la même ligne idéologique que depuis 1850 (industrialisme expansionniste) puis 1950 (consumérisme aveugle) et finalement 2000 (totalitarisme numérique et fantasme cybernétique) c'est aller, plus vite et sûrement encore, droit dans le mur.
L’indispensable réforme de l'éducation doit être de fond et de bon sens. Elle ne doit pas se plier à la vision d'un avenir dont les lignes seraient déjà tracées. Elle ne doit surtout pas se mettre au service d'un fantasme de l'inévitable. Aujourd'hui, l'éducation est ce qui devrait permettre d'empêcher qu'une vision morbide du futur ne gangrène les esprits. L'éducation, c'est le contraire du fatalisme ; elle doit donner les moyens de penser l'alternative. Un regard rajeunissant porté sur un passé même pas si lointain de notre société, et sur d’anciennes pratiques éducatives trop vite balayées peut nous suggérer des pistes voire des remèdes et redonner du sens à notre métier. Aucun passéisme là-dedans ! Pour Action & Démocratie, il s’agit de prendre le meilleur où il se trouve, au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain…