Retour sur un fiasco !
Cette année pour la première fois, il a été demandé au plus de 500 000 élèves de Seconde de réaliser un stage de deux semaines, du 17 au 28 juin. Rarement aura-t-on vu mesure si mal préparée, engendrant une mise en œuvre totalement chaotique, et contribuant à faire perdre encore de la crédibilité à notre institution. Voici un récit à la première personne de la séquence.
« Monsieur, qu’est-ce qu’on fait si on n’a pas de stage ? ». Une question parmi tant d’autres, revenues inlassablement depuis l’annonce faite par Gabriel Attal de la mise en place d’un stage pour tous les élèves de 2nde pendant deux semaines au mois de juin. Il faut dire que le mystère a longtemps plané sur les conditions concrètes de réalisation de cette mesure. Il y a bien eu la publication le 29 novembre 2023 du Décret n° 2023-1111relatif à l’instauration d’une séquence d’observation en milieu professionnel en classe de seconde générale et technologique, accompagné d’un arrêté du Ministère, mais ceux-ci restaient fort lacunaires, se contentant d’annoncer la tenue d’un stage de deux semaines pour les élèves de Seconde dans le dernier mois de l’année scolaire, et prévoyant une série d’exemptions.
Les choses commencent donc au sein de mon lycée au mois de janvier, lorsque les professeurs principaux de Seconde trouvent dans leur casier une fiche à faire remplir par leurs élèves, sur laquelle ils doivent préciser s’ils souhaitent réaliser un stage, ou bien le Service national universel (SNU) qui leur est proposé comme alternative. Nous apprendrons plus tard que les places en SNU sont extrêmement limitées, et que le stage concernera donc l’immense majorité de nos élèves, qu’ils le veuillent ou non. Mais à cette date, le SNU ne semble de toutes façons pas très populaire dans ma classe, et les élèves se lancent donc dans leur recherche de stage, plus ou moins activement selon les
profils et l’encadrement familial bien entendu.
Le temps passe, la question tombe un peu dans l’oubli, faute de nouvelles venues de l’administration – et, je le reconnais, faute d’un grand intérêt porté au sujet de mon côté, car il y a des tâches qui me semblent alors bien plus urgentes et importantes. Au mois d’avril, je commence à recevoir des mails de parents me demandant où trouver la convention de stage, maintenant qu’un maître de stage a été trouvé pour leur enfant. Bonne question ! Après avoir contacté le secrétariat de scolarité, j’apprends que pour obtenir une convention de stage, les élèves doivent me retourner la fiche que je leur ai distribuée trois mois plus tôt, signée par eux-mêmes et leurs parents.
Commence alors un incessant travail de collecte et de distribution de documents : en effet, une fois que les élèves ont rendu leur fiche de choix de stage, il leur est distribué une convention de stage (dans un délai plus ou moins rapide car le secrétariat de scolarité est submergé par l’ajout de cette nouvelle mission chronophage à leurs missions habituelles), qu’ils doivent faire valider par leur maître de stage et leurs parents, la rendre à l’établissement par mon intermédiaire pour signature par le chef d’établissement, avant redistribution à l’élève. Tout ça au compte-goutte et pour nos 18 classes de Seconde ! Je passe les détails des papiers perdus, des dates limites imposées mais impossibles à respecter, des parents stressés par les délais qui envoient des mails pour accélérer la procédure, des élèves qui angoissent de ne rien trouver…
De notre côté, dans l’établissement, nous nous posons des questions bien concrètes. Par exemple, quid du rapport de stage ? Nous apprendrons à la fin du mois de mai que finalement, le Ministère a annoncé aux familles qu’il serait facultatif. Il faut dire que dans la circulaire du 28 mars, qui précise (enfin) certains éléments de mise en place du stage, il était seulement question d’une vague « exploitation pédagogique en classe de première » … Et les « personnels référents » prévus par le même texte, censés garder contact avec les stagiaires dans les établissements ? Aucune solution ne semble possible pour gérer les contacts réguliers de centaines d’élèves, et nous devons décider
que ce sera aux élèves et à leur maître de stage de contacter le lycée s’il y a un problème. Une mission supplémentaire pour l’équipe de direction, donc…
Mais tout cela n’est rien à côté de la question du sort des élèves qui ne trouveraient pas de stage (relativement peu nombreux dans mon lycée, mais très majoritaires dans les quartiers populaires). Le Ministère prévoit d’abord qu’ils soient accueillis dans les établissements sur l’ensemble du temps scolaire, pendant les deux semaines de stage. Sous la responsabilité de qui, et pour faire quoi, nul ne le sait ! Deuxième version, donnée là aussi fin mai : les élèves feront des recherches sur leur
projet d’orientation. Ah… mais qui peut les surveiller, sachant que la plupart des professeurs du lycée sont occupés à faire passer et corriger le bac, et que cela concerne plus d’une centaine d’élèves chez nous ? Et quel sens pour eux de passer deux semaines à compulser des fiches Onisep ? Petit à petit, l’irrépressible vérité se fait jour : il n’est pas possible d’obliger les élèves sans stage à faire quoi que ce soit pendant ces deux semaines. Les conseils de classe sont de toutes façons passés, les passages en Première validés, donc quelle sanction pourrait être prise ?
Résultat : le stage perd en réalité son caractère obligatoire. Il est fort à parier que face à ce changement de la donne, un certain nombre d’élèves ayant trouvé un stage aient décidé de ne pas s’y rendre. Improvisation, promesses non tenues… Il semble que cette annonce n’ait servi qu’à donner l’impression que les élèves allaient être bien occupés jusqu’au bout de l’année scolaire : la fameuse reconquête du mois de juin, mais avec une armée mexicaine !
Pourtant, malgré cet authentique fiasco, je n’ai trouvé aucun article de presse, ni aucun retour du Ministère sur le sujet. Pire, la circulaire de rentrée 2024 publiée le 26 juin précise que « le stage de 2de, obligatoire pour tous les élèves en voie générale et technologique, est reconduit afin de permettre à chacun de consolider ses vœux d’orientation ». Alors, après ces débuts en fanfare, prêts pour la deuxième saison ?
Une tribune libre de
Colin MARTET, professeur de Sciences économiques et sociales en lycée, membre du bureau académique Lyon.
Comme pour cette tribune de notre collègue Colin nous sommes preneurs de chacune de vos remontées de terrain (constats, suggestions…) afin de publier vos témoignages (anonymement ou pas selon votre volonté) et surtout d’envisager des actions concrètes face à une catastrophe annoncée :
Action & Démocratie Corse / CFE – CGC
chez Union Régionale de Corse CFE - CGC
3, rue Pierre BONARDI
20090 AJACCIO
📞 04 95 22 47 43 (UR CFE -CGC Corse)
🌎 actiondemocratiecorse.webador.fr
📱 06 73 19 47 69 (Président Action & Démocratie de Corse)
👓 A lire aussi 👇